Burnout 3 Takedown – Autopsie du meilleur jeu de course arcade


Chroniques, Rétro-éclairage / lundi, avril 15th, 2024

Au début des années 2000, le jeu de course arcade est à son apogée. Il n’y a pas une année sans qu’un hit vienne en déloger un autre. Les Mario Kart-like sortent en pagaille, Project Gotham Racing affronte Gran Turismo, Need for Speed y voit débarquer ses meilleurs opus, à l’inverse de Destruction Derby, qui se fait écraser par Flatout… et surtout Burnout. Lancé en 2004, Burnout 3 Takedown est encore fréquemment cité dans les tops des jeux des années 2000, quand il n’est pas rapporté comme le meilleur jeu de course arcade de tous les temps.

Acclaim avant l’acclamation

En 2002, Criterion Games sort son deuxième Burnout. Malgré les très bonnes critiques, le titre est loin d’avoir l’aura qu’a Takedown. Qui plus est, la banqueroute de son éditeur de l’époque, Acclaim, force Criterion Games à revoir ses plans. Ce que veut désormais faire l’équipe, c’est une sorte de Skate or Die, un jeu NES de 1987. Si le studio pense tout d’abord à Sony, qui vient de distribuer son titre Airblade la même année, il finit par croiser la route d’Electronic Arts qui sont les seuls à s’intéresser au gameplay du jeu. Un contrat classique est rapidement établi : EA produit le Skate or Die, mais une autre partie de l’équipe doit aider EA Canada sur un Need For Speed : Split Second.

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On reparlera de punk un peu plus loin

Cependant, Electronic Arts est trop dirigiste, et tord trop le projet pour Criterion Games. Leur éditeur les prévient qu’ils ne peuvent pas faire un Tony Hawk, car ce qui marche alors, c’est le monde ouvert, propulsé par GTA. Sentant son idée et surtout son équipe menacé, le studio veut arrêter le développement. Electronic Arts fait pression, et les déloge du projet Need for Speed. Les ponts sont ainsi brusquement coupés. Cependant, à l’E3 2003, Bruce E. McMillan, alors executive VP d’EA, revient à la charge pour produire Burnout 3. Après plusieurs refus, Criterion Games décide enfin de renouer le dialogue, mais à condition d’avoir une totale liberté de mouvement. Six mois plus tard, la démo convainc définitivement EA, et la collaboration peut donc commencer.

Crash and Burn

L’idée de départ de ce nouvel opus, c’est une volonté de le rendre plus plus agressif. Et le takedown (dont le nom ne sera trouvé qu’à la fin du développement) en est la parfaite illustration. Mieux encore, Matt Webster, producteur d’EA, leur indique que cette mécanique doit être « charnière », en la rendant spectaculaire et jamais vue. Deux concepts sont alors imaginées, non sans remous. La première est que chaque takedown  ou presque (l’action d’envoyer un rival dans le décor ou un obstacle) coupe la course pour montrer l’accident en détail. Un changement de caméra qui déplait à l’équipe au début, mais qui permet de contempler le chaos que l’on vient de créer, le temps d’un rictus sadique. Mine de rien, cela est à la fois spectaculaire et un moment exaltant, permettant de calmer une course qui va littéralement à 300 km/h.

Non contents d’avoir inventé le takedown (une action agressive et donc offensive), les développeurs ajoutent également un élément défensif. Lorsque le joueur s’encastre là où il ne le faut pas, il a la possibilité de diriger sa carcasse dans un ralenti (le bullet-time est alors à la mode) afin d’entrainer un adversaire dans sa perte. De fait, même un crash frustrant peut devenir jubilatoire grâce à l’aftertouch.

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Une jouabilité millimétrée

Ces deux nouvelles mécaniques déjà très appréciables sont posées sur des fondations encore plus solides qu’auparavant. La jouabilité de la licence atteint la perfection. Burnout 3 Takedown fait en effet parti de ces jeux « faciles à prendre en main, difficile à maitriser ». Les touches sont très simples (accélérer/drifter/booster), mais les tracés, et surtout le trafic, demandent du doigté pour ne pas enchainer les accidents involontaires. Le titre de Criterion Games est ainsi très proche du fun de l’esprit SEGA, et l’on pense notamment à Crazy Taxi, pour son impertinence, et d’un SEGA Rally pour ses longues glissades dans les virages. Burnout 3 rajoute d’ailleurs à ses drift à maitriser, plusieurs véhicules à esquiver, le tout à 200 km/h. C’est en outre un autre point fort du jeu. Sa vitesse donne lieu à des courses intenses, où chaque imprudence fait très mal.

Le titre n’est toutefois pas un F-Zero. Il devient certes bien plus difficile dès la classe des voitures « super » débloquée, il n’en reste pas moins accessible, car généreux. Les takedowns sont parfois donnés, et certaines collisions esquivées miraculeusement. Les rails virtuels en forme de flèches jaunes sont eux aussi très permissifs, et sont rarement mortels. Cependant, vos rivaux, eux, ne feront pas de cadeaux. L’IA est particulièrement retorse et n’hésitera pas à jouer des coudes pour vous expulser de la route.

Boulevard de la mort

Si le takedown représente l’esprit du jeu, l’agressivité y est omniprésente. La barre de boost par exemple, se remplit lors des dérapages, des sauts, mais aussi des sens contraires et des esquives du trafic. La prise de risque est donc toujours récompensée. De même que l’offensive, car les coups de pare-chocs (boostés ou non) donnent eux aussi de la précieuse nitro. Les takedown restent le Graal, puisqu’ils permettent de rajouter un bloc de boost (jusqu’à quatre) afin de pouvoir se propulser plus longtemps. À l’inverse, tout accident fait perdre un bloc, mais toucher un adversaire lors d’un aftertouch en restitue un.

Criterion Games a également lourdement revu le mode Crash, qui demande au joueur de s’élancer sur la chaussée et de créer le plus gros accident routier. Désormais, différents bonus sont étalés sur le parcours (points supplémentaires, multiplicateurs, ou diviseurs de score). Il faut alors trouver la meilleure trajectoire pour totaliser le plus de points, quitte à laisser certains bonus de côté. Le mode n’est ainsi plus un simple mini-jeu, il devient un véritable puzzle-game jubilatoire, car toujours récompensé par un carnage impressionnant. Ce mode a d’ailleurs eu le droit à son propre spin-off PSN, Xbox Live Arcade et iOS, intitulé Burnout : Crash!.

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Autoradio

Si la jouabilité est déjà excellente, elle est soulignée par la direction artistique du titre. Élément souvent discret dans les jeux de course, Burnout 3 bénéficie d’une ambiance, très orienté punk. On pense tout d’abord à ses idées de sale gosse, son habillage tout feu, tout flamme (loin de sa triste première version), mais surtout à son audio. Outre les effets sonores très réussis (les tôles froissées, les impacts, mais aussi les bruits de réussites ou échecs), Burnout 3 Takedown dispose d’une bande-son fil rouge, qui colle au jeu. C’est jeune, masculin, et très punk-pop, bref : la cible commerciale est clairement identifiée. De Franz Ferdinand, à des groupes moins connus comme Ash, la BO de Burnout 3 cadre aux images, et sans doute à son public d’alors. Il faut dire qu’à l’époque, Electronic Arts est très fier de son programme EA Trax. Soit une bande-son spécifiquement étudiée pour certains jeux, notamment ceux de sport.

Toujours influencé par l’éditeur, Burnout 3 dispose d’un vrai-faux DJ, à l’instar de SSX 3. Si celui du jeu de snowboard arcade était apprécié, les critiques furent bien moins tendres avec Crashman de Burnout. Souvent décrié comme insupportable, il personnifiait pourtant justement ce côté sale gosse. Emmanuel Garijo (Anakin Skywalker, Chris Pine, ou ironiquement les jingles Skyrock) insuffle au DJ une délicieuse impertinence à un personnage qui nous conseille sur les meilleurs crashs à réaliser.

So 2000

De par son EA Trax et son DJ virtuel, Burnout 3 Takedown est déjà un produit de son époque. Mais il incorpore également d’autres éléments qui l’ancrent dans les années 2000. À commencer par ses panneaux publicitaires à l’effigie d’Axe (un classique qu’Ubisoft distilla de même), mais surtout de jeux EA. Tiger Wood PGA Tour, Battlefield 2 et même Need For Speed se montrent, cassant la crédulité de la fiction.

Si le multijoueur en ligne n’est pas spécialement marqué par le début 2000, son traitement par la presse de naguère l’est. Il est amusant de voir à quel point les sites spécialisés mettent en avant le online dans leurs critiques de l’époque. Il faut dire que celui-ci semble (les serveurs sont désormais éteints) particulièrement réussi, avec peu de lag, malgré une obligation de s’enregistrer sur le site d’Electronic Arts pour y accéder.

LE Burnout

Burnout 3 est donc un pas énorme comparé aux deux premiers opus. Si Acclaim avait laissé carte blanche au studio, la collaboration avec EA a permis à Burnout 3 de taper plus fort. Bien plus agressif, plus jubilatoire, plus impressionnant, ce troisième épisode est surtout bien mieux construit. Il sonne comme une équation cohérente de différents facteurs. Tout est réussi individuellement certes, mais tout va surtout dans le même sens. Le jeu est nerveux, intense, généreux, dans l’air de son temps, et marie l’impertinence à l’arcade.

Même 20 ans plus tard, Burnout 3 Takedown ne manque de quasi rien. Encore très agréable à l’œil (il était impressionnant à l’époque) avec ses particules, sa framerate constante et ses effets métalliques, parfaitement jouable et doté d’une grosse durée de vie, Burnout 3 n’a pas vieilli. Hélas, la licence, elle, est abandonnée. Jamais la magie n’a aussi bien opéré une deuxième fois. Et même si Burnout Revenge et Paradise sont très bons, ils restent principalement très différents.

Burnout en burnout

Sorti en 2011, Burnout : Crash ! reste pour l’instant le dernier épisode en date. Face à l’échec de Burnout Paradise, et à la baisse de ventes des jeux de course arcade, EA a révisé sa stratégie. Criterion Games s’est ironiquement vu mobilisé sur la licence Need for Speed, puis a déplacé 80 % des effectifs chez Ghost Games. Le studio n’avait plus alors qu’un rôle de supervision, qui n’a pas plu au reste des troupes. Une partie subsistante a donc quitté la Criterion Games pour fonder Three Fields Entertainment en 2014.

Après un jeu de golf explosif et un titre VR, le studio anglais est obsédé par la recréation de Burnout 3. Chacun de leurs jeux tente de retrouver la recette magique de Burnout 3 (jusqu’à copier les menus, la police d’écriture, les écrans de chargements), sans succès. Désormais, Three Fields Entertainment s’attelle à Wreckreation, un jeu de course bac à sable où il est autant question de carnages automobiles que de création. Plutôt qu’un burnout, c’est le Syndrome de Peter Pan qui semble toucher le studio, où l’enfant impertinent des années 2000 ne veut pas grandir.

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