L’une s’appelle God of War, et a commencé son périple en 2005. L’autre s’est lancée en 2006, et se nomme Gears of War. Deux licences souvent réduites aux trois lettres « GoW ». Et si à cette époque, rien d’autre ne les rapprochait, ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui.
La guerre sous deux angles
God of War trouve son origine chez Santa Monica Studio, fondé pour produire des exclusivités PlayStation. Le créateur de la licence, David Jaffe, aurait eu l’idée de transposer le gameplay d’Onimusha à la mythologie grecque. God of War devient alors rapidement un hack’n slash saupoudré du Choc des Titans. On y affronte effectivement toute la mythologie mineure, mais aussi plus importante, comme les dieux eux-mêmes.
Si Gears of War ne nait pas d’un studio à la solde de Microsoft, Epic Games est vite approché par le constructeur pour en faire une exclusivité Xbox 360. Là aussi, ce sont les influences qui ont dirigé le projet. Les premières ébauches datent de 2000, mais sont rapidement écartées pour continuer à travailler sur Unreal Tournament. L’idée revient quelques années plus tard, lorsque des titres comme Resident Evil 4 et Kill Switch sortent. La caméra proche de l’épaule de l’un et le système de couverture de l’autre entérinèrent le projet d’un jeu de tir à la troisième personne. Le tout dans un univers apocalyptique, d’émergence d’une race inconnue jusqu’alors, mais belliqueuse.
2013, première fracture
Ces deux jeux sont de véritables succès commerciaux et critiques. Par leur mise en scène et leurs mécaniques novatrices, ils bouleversent rapidement l’industrie qui s’efforce alors de les singer, plus ou moins discrètement. Mais rien ne les égalera, sauf leurs propres suites, puisque les constructeurs sont ravis de voir émerger une poule aux œufs d’or dans leur camp respectif.
Cependant, après trois opus très convaincants, les deux franchises marquent un tournant sous l’année 2013. God of War Ascension et Gears of War Judgment tentent en effet tous les deux un antépisode et quelques changements audacieux. En marge de son histoire principale, GoW Ascension propose un mode multijoueur particulièrement brouillon, et qui a pourtant valu plusieurs mois de retards au jeu. De l’autre côté, Judgment s’appuie surtout sur un nouveau système de score, à chaque niveau. Enchainer les éliminations avec style permet décrochées plusieurs étoiles, tout comme accepter certains challenges. Malheureusement, la mayonnaise réalisée par People Can Fly ne prend pas, et altère le goût épique et brutal de la licence. Sans surprise, les deux titres ont été sanctionnés par les joueurs, opérant un succès commercial bien moindre comparé aux épisodes précédents.
Les fils de GoW
Un quatrième épisode est tout de même mis en chantier, mais la communication est plus discrète. Et surtout, les deux licences amorcent un changement scénaristique majeur. Gears of War 4 se montre le premier durant l’E3 2015. Une séquence de gameplay nocturne y est projetée, où les deux protagonistes sont inconnus. L’un d’eux est en réalité JD Fenix, le fils du personnage jusque là principal des GoW d’Epic Games. Lorsque Gof of War se présente un an plus tard à l’E3, c’est par le biais d’Atreus que l’on découvre son père vieillissant : Kratos.
Santa Monica Studios a cependant bien mieux opéré sa communication, en jouant la surprise jusqu’au dernier moment. Un teaser parfaitement maitrisé, avec même un petit moment de silence prévu pour les exclamations du public. À l’inverse, en envoyant directement du gameplay dans un segment déjà occupé par Gears of Wars Ultimate Edition, Microsoft coupe l’herbe de la surprise. Pire encore, l’annonce de la relation de JD/Marcus s’est faite après coup, tuant la séquence de découverte de Marcus Fenix, lui aussi vieillissant.
Quand la caméra change tout
La grande différence entre ces deux GoW 4, c’est bien l’ambition qui les anime. Si bien que Gears of War 4 (à l’instar de JD) marche droit dans les pas de ses ainés, là où God of War détruit les fondations de la licence pour mieux repartir. Certes, Gears of War 4 marque le début d’une nouvelle histoire, et de personnages inédits surtout, mais les mécaniques restent les mêmes. En rapprochant sa caméra à l’épaule (comme Resident Evil 4, ironiquement), God of War ne peut plus être le même jeu, offrant le même gameplay. Les développeurs ont ainsi fragilisé Kratos, et ont rendu le combat plus lourd, plus lent.
C’est exactement ce que fait Splash Damage avec Gears Tactics, sorti en 2020. En plaçant l’objectif en plongée totale, Gears of War devient alors un jeu tactique, sacrifiant la dynamique des affrontements pour une temporalité beaucoup plus longue. Pour autant, Splash Damage a parfaitement compris les mécaniques spécifiques de Gears (rechargement éclair, corps-à-corps mortels, système de couverture important…) pour les incorporer dans un jeu au tour par tour. Dans les deux titres, c’est le placement du point de vue qui permet de créer une toute nouvelle dynamique, une autre façon de jouer, sans trahir la licence.
La tentation du monde ouvert
Il n’y a pas que les combats qui changent dans God of War. On l’a dit, presque tout est reparti de zéro, sans être un reboot pour autant. Et l’une des grandes nouveautés de cet opus de 2018, c’est sa liberté d’action. Alors que la franchise était jusque là séparée en niveaux très distincts, ici, les développeurs font le pari d’un monde ouvert. Ou plutôt d’un hub, car ce GoW de Santa Monica est entre le Metroidvania et l’action-RPG, dont il n’a jamais été aussi proche. L’environnement est donc vaste, et les allers-retours sont importants, puisque certains passages ne se laissent découvrir qu’avec le bon objet. Parfois, les deux derniers opus offrent des niveaux particulièrement ouverts, demandant un véhicule pour aller plus vite. On pense notamment à barque dans l’épisode de 2018, ou au traineau dans Ragnarök.
Gears 5 (qui ne stoppe pas sa déclinaison numéraire, mais a tout de même réduit son titre) reste fidèle à lui-même. Il fonctionne toujours sous forme de chapitres et d’actes dans des niveaux très linéaires… excepté deux reprises. Il est ainsi amusant de noter que cette cinquième cartouche comporte une séquence un peu plus ouverte, où l’on navigue dans la neige avec un skiff, qui est… une sorte de traineau à voiles. À vrai dire, ces séquences dans ces trois jeux cités sont en réalité à remettre dans un contexte où le monde ouvert est progressivement présent, et non pas réservé aux GTA-like ou au RPG. Les développeurs cèdent donc à ce qui marche actuellement, mais ce qui a un avantage également. En allongeant le chemin, les scénaristes peuvent alors s’en donner à cœur joie sur des dialogues plus posés, et souvent plus introspectifs.
Et après la guerre ?
Avec le temps, les coïncidences sont devenues de plus en plus grosses entre les deux licences GoW. Elles reflètent à vrai dire généralement la mode d’une époque, que ce soit le monde ouvert ou les prequels par exemple. Mais ce sont également de bons éléments pour comprendre comment réaliser la communication d’un jeu, voir comment réfléchir le renouveau de licences de presque dix ans. C’est d’ailleurs ce que disait Cliff Blezszinski, créateur de Gears of War, dans une récente interview de comicbook.com :
Je pense que Gears aurait besoin d’un petit reboot, comme ce fût le cas pour God of War. Et j’ai toujours dit que Phil Spencer a mon numéro, et je serai ravi d’en discuter.
Mais pour le moment, les dernières rumeurs parlent surtout d’une Gears Collection, rappellant ainsi… la collection God of War Saga sorti en 2012.