Assurément, les Wachowskis ont baigné dans la pop culture. Entre japanimation et jeu vidéo, les influences dites « geek » sont nombreuses dans Matrix. Pourtant, dans le fond, c’est un pan de la philosophie qui est abordée. Et si les adaptations vidéoludiques Enter the Matrix et Path of Neo sont moyennes voire médiocres, elles gardent tout de même ce croisement implicite.
De l’influence à la réalisation
En 2003, alors que Matrix Reloaded sort au cinéma, Enter the Matrix est disponible dans nos rayons. Une adaptation qui a la rare particularité d’être réalisée…par ses réalisateurs. Ce sont les Wachowskis qui ont en effet dirigé la création du 1er jeu Matrix. L’idée pour eux se fait dès le développement du 2e film, afin de créer une sorte d’univers étendue. Ce n’est pas seulement des séquences/niveaux jamais vues dans le film qui sont créées, mais bien de nouvelles séquences filmées avec les acteurs. En dehors du gameplay, les critiques négatives à propos de cette adaptation viennent du fait que l’on contrôle Niobe et Ghost au lieu de Neo.
En 2005, Shiny Entertainement, déjà responsable d’Enter the Matrix, sort donc The Path of Neo. Une sorte de compilation qui retrace les aventures de Neo dans la trilogie cinématographique. Les Wachowskis sont bien sûr toujours aux commandes et continuent d’étendre leur univers à travers de nouvelles séquences.
Roulade et stamina
Manette en main ce Path of Neo est plus fluide que son prédécesseur, notamment dans les animations. Cependant, les développeurs ont encore du mal à faire ressentir la puissance de la matrice dans une manette. Il faut par exemple appuyer sur trois boutons en même temps pour effectuer le fameux saut ralenti. Dans les faits d’ailleurs, on abandonne bien vite les gunfights dès que possible, tellement les contrôles ne suivent pas.
Les combats à mains nues sont heureusement plus réussis, car améliorés de ceux d’Enter the Matrix. Encore une fois, tout est plus fluide. On ressent moins le côté un contre un. On frappe l’adversaire en tentant de l’étourdir afin de lui envoyer un coup spécial. De nouveaux mouvements à mémoriser viennent au fur et à mesure, afin de ne pas lasser le joueur. Le point intéressant, c’est que les combats sont un poil plus technique qu’ils paraissent. Enchainer les frappes quand l’ennemi pare, et c’est l’étourdissement assuré pour Neo, suivi d’une cuisante contre-attaque de l’ennemi. Le sel de ce kung-fu vidéoludique réside donc dans une jauge d’endurance (invisible sur l’ATH) qu’il faut maitriser pour battre l’ennemi. Dès qu’elle se vide, il vaut mieux esquiver au plus vite. Un combo esquive + endurance qui ressemble à une ébauche de ce que l’on trouve dans les (Dark) Souls.
Prenez garde aux fourmis
On l’a dit, les Wachowskis prennent un malin plaisir à décupler les scènes. L’entrainement à la matrice est par exemple rallongé. On y apprend à manier le sabre, à éliminer des gardes furtivement… le tout dans des environnements jamais vus dans la licence. Certainement poussés par les capacités presque infinies du développement 3D, les réalisateurs vont même un peu loin…
L’antre du Mérovingien est particulièrement modifié. Deux nouvelles boss et des épreuves attendent Néo. Parmi celles-ci, on trouve d’ailleurs un niveau digne de M.C. Escher. Escalier à l’horizontale, des dizaines de portes, plafond sens dessus dessous… Dans cette séquence déjà bien étrange, on affronte même… des hommes fourmis, sans aucune explication !
We are all mad here
Un niveau qui questionne particulièrement le joueur donc. Et c’est sans doute ça que les Wachowskis voulaient. Matrix interroge la réalité comme Descartes auparavant (notre perception est-elle biaisée?). The Path of Neo s’intéresse quant à lui au jeu vidéo. Jusqu’où peut-on tordre l’illusion du réel dans une fiction interactive ? Plusieurs fois dans TpoN, les séquences vont rappeler à l’utilisateur que tout ceci n’est qu’un jeu, et que tout y est permis. Le combat contre Seraph par exemple. À force de briser les murs avec ses poings, on finit littéralement par briser le fameux 4e de ces derniers. Les destructions du décor nous amènent à nous battre dans un cinéma où les PNJ regardent…la version live action du film. Si ces derniers n’y voient que du feu, le joueur lui, se sent perdu entre l’envie de regarder la séquence et devoir la réaliser. La fiction et l’interactivité se rejoignent. À l’instar de ce fameux entrainement à la furtivité qui ne servira pas une seule fois dans le jeu…car il ne sert pas non plus dans les films.
Mais parfois, c’est l’inverse que proposent les Wachowskis. Ainsi, lors du combat final contre l’agent Smith, alors que résonne la dernière phrase de celui-ci, un écran blanc surgit. Les réalisateurs apparaissent sous forme de personnages 8bit pour analyser la fin du film, et nous dire que celle-ci ne correspond pas à un jeu vidéo. Ces derniers ont toujours un immense boss de fin, The Path of Neo en aura donc un. Tant pis pour la cohérence de l’univers : c’est une adaptation de fiction.
Alice aux pays du gameplay
À bien y regarder de plus près, TpoN est finalement cohérent. Cohérent avec ce que nous dit Matrix. Les nombreuses références à Alice aux pays des merveilleuses dans la trilogie se perçoivent ici. Néo étant une Alice tombée dans le trou de la réalité, essayant de comprendre le vrai absurde monde. Le joueur tombe dans un trou en mettant le disque dans la console, mais c’est le game design qui n’a plus de sens ici. Les cartes à jouer sont remplacées par des fourmis. Le labyrinthe par un tableau d’Escher. Et lorsqu’Alice se réveille en plein soleil, le joueur finit lui aussi son aventure virtuelle sur une image de cette même étoile.
1