Il est impossible de parler de Dark City (1998) sans évoquer Matrix (1999). Les deux films contiennent tout un tas de ponts qui les unissent, alors qu’ils sont sortis avec un an d’écart. On y retrouve le héros « élu » doté malgré lui de pouvoirs qui l’aideront à déconnecter le peuple d’une fausse réalité, manipulée par des agents uniformes. Cependant, si les scénarios se font écho, Dark City lorgne plus du côté film néo-noir. La ville est, comme le sous-entend le titre, le lieu clef. Un hub vivant et pourtant bien cloisonné.
Dark SimCity
Dans le film d’Alexis Proyas, on y apprend que les Étrangers (des êtres mystérieux et puissants) contrôlent le monde, par bien des manières. Grâce à leurs pouvoirs, ils façonnent celui-ci architecturalement, en faisant pousser les matériaux urbains comme des champignons, fusionnant les immeubles ou modifiant les maisons existantes. Se faisant, les règles sociales changent également. Le couple de classe moyenne devient riche du jour au lendemain. Ou plutôt de la nuit à la nuit, puisque les Étrangers plongent la ville dans un crépuscule éternel, leur permettant de transformer ce bac à sable lorsque ses habitants sont endormis. Aussitôt éveillés, ces derniers s’adaptent à toutes les améliorations effectuées.
Cette séquence où la cité se mue comme par magie rappelle tous les jeux de gestion. Le joueur est l’étranger du monde virtuel, aux capacités multiples. Il fige le temps, à l’activation d’un menu, afin d’ériger les différents bâtiments qu’il lui faut. Ces transformations architecturales ont bien évidemment des conséquences sociales, qui, pour le bien du jeu, sont instantanées ou presque. Un bon travail de gestion permet de créer très rapidement des changements de classe chez les habitants, à la manière d’un City Life par exemple. Enfin, ces citadins sont impassibles devant la ville qui évolue radicalement, de par leur virtualité. Ils n’ont aucune conscience et continue leur routine à travers un pathfinding créé par les développeurs.
Proyashub (spoiler alert)
Dark City met évidemment en scène un personnage, John Murdoch, qui se réveille (physiquement et consciemment) et tente de sortir de ce labyrinthe. La ville est effectivement délimitée. Chaque route, chaque rue ne mène nulle part. Même les canaux, que l’on imagine reliés à une mer, sont finalement sans issues. Impossible pour le héros de quitter l’environnement urbain, façonné par les créateurs étrangers. Et lorsque l’un des personnages tente de casser les murs du labyrinthe, il traverse celui-ci pour tomber dans le vide infini. Exactement à la manière des jeux 3D, où franchir une paroi mal-texturée fait chuter le joueur à jamais.
D’ailleurs, Dark City est constituée d’autant de cloisons grossières que n’importe quels jeux 3D. Pour pouvoir traverser celles-ci vivant, il faut glitcher, jouer avec les limites de la création des développeurs. Le pouvoir de Murdoch étant le même que celui des Étrangers, il utilise leur code pour refaire la ville comme il l’entend. Il devient en quelque sorte un moddeur. Cependant, comme ces derniers, il reste restreint par la conception originale. Les moddeurs ont beau recréer le monde de GTA III avec le moteur de GTA V, celui-ci sera toujours aussi limité. Ainsi, dans la fin de Dark City comme dans les GTA (et bon nombre de jeux en mode ouvert), les barrières ne sont plus qu’une étendue d’eau infinie.
You shall not pass
L’exploration de la ville vivante par John Murdoch, et sa volonté de s’en échapper est un cauchemar sans fin (il fait toujours nuit, rappelons-le). L’irréalité ne fait que perturber les personnages conscients, les poussant dans leurs moindres retranchements psychologiques. Sortir de ce dédale pour souris devient impératif pour ne pas sombrer dans la folie, ou finir sous les rails d’un train. À l’inverse, le jeu vidéo est un carcan que la majorité des joueurs accepte. Tomber sur une de ces failles ne fait que sortir l’utilisateur de son expérience. Celui-ci la voit d’ailleurs comme un bug, une anomalie. Cependant, pouvoir survoler nos mondes virtuels, grâce au God Mode, c’est également l’occasion des les prolonger par la compréhension. Voir comment ils sont faits, et les possibles mystères qui les entourent. Loin d’être aussi anxiogène que celles de Dark City, les murs du jeu vidéo sont finalement nécessaires au plaisir ludique.
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