Le joueur est-il hypocrite ? Alors qu’il a l’impression que l’industrie vidéoludique tourne en rond (du moins chez les grands éditeurs), les prises de risque ne sont pas souvent remerciées. En regardant bien les gros échecs commerciaux de ces cinq dernières années, on constate qu’ils ont tenté des expériences différentes. Peut-on expliquer ces naufrages par le simple fait de recherches inabouties ? Pour répondre à cette question, revenons sur cinq titres ayant échoué sur cette génération de consoles.
Evolve : La mésentente
Peut-on dire que le jeu de Turtle Rock Studio fut un échec ? Dans un sens, Evolve a eu un bon lancement à la fois critique et commercial. Une image tranchant avec le bashing qu’il a pu subir. Mais c’est surtout son abandon définitif en septembre 2018 qui nous fait dire que oui : Evolve est bien un échec, car rares sont les jeux AAA à finir de cette façon, en trois ans.
Comment expliquer qu’un bon lancement puisse rapidement laisser place à un free-to-play pour ensuite aller vers une fermeture de tous les serveurs ? Cela semble tenir à deux notions principales. Tout d’abord, Evolve n’est clairement pas un jeu parfait. Si les critiques avaient prévenu sur ce fait, il semble que les erreurs se soient accentuées avec le temps. Un problème qui peut tuer un titre online si aucune réparation rapide n’est faite. C’est justement ce que Turtle Rock Studios n’a pas pu faire. Dans une lettre sur Reddit, le directeur du jeu affirme que le studio fut en désaccord avec son éditeur 2K Games. Il dénonce ainsi l’impossibilité de publier des mises à jour fréquentes.
Il revient également sur le deuxième point que nombre de joueurs ont soulevé : les DLC. D’après l’un des développeurs, ce serait 2K qui aurait incité à scinder le contenu du titre. C’est tout d’abord les bonus de précommande, prévus trop rapidement, qui ont fait grincer des dents. Notamment parce qu’il s’agit d’un pass de saison. Des DLC importants (on parle de personnages jouables) sont communiqués le jour de l’annonce du jeu pour un prix de 140 €. De plus, alors que les problèmes s’accumulent, un second pass de saison surgit. La note atteint plus de 200 € pour quiconque veut explorer Evolve à 100 %. Les fans, écœurés, quittent rapidement le navire. Même le passage en free-to-play n’y fait rien, les développeurs n’arrivent pas à remonter la pente. Ironique, lorsque le premier éditeur du titre (THQ, qui a fait faillite en 2012) était prêt à lancer le jeu en F2P.
Battleborn, un problème d’identité
Vous l’avez sans doute rapidement vu sombrer dans les bacs de promotion des magasins de jeux en 2016. Pire encore, un an après, Battleborn devient finalement free-to-play. Il est possible de jouer autant que l’on veut, mais pas avec n’importe qui, puisque les personnages utilisables changent toutes les semaines. La critique n’a pas été particulièrement difficile avec le titre, même si l’avis général est qu’il est loin d’être parfait… Mais loin d’être mauvais également. Non, l’échec de Battleborn résulte d’autre chose, que tout le monde, ou presque voyait venir : Overwatch.
Si Gearbox a annoncé son jeu le premier, une fois que Blizzard fait de même avec Overwatch, le combat fut très rude pour le studio responsable de Battleborn. Car les deux titres sont des FPS orientés multijoueurs se basant sur un roster de personnages. Chaque héros ayant des capacités et une utilité différente. C’est ce que l’on appelle le Hero Shooter. Cependant, la comparaison s’arrête là. Battleborn se constitue d’une (succincte) campagne coop et de modes compétitifs façon MOBA. Pour Overwatch en revanche, il s’agit de matchs multijoueurs plus classiques (Roi de la Colline, escorter un objectif…). Si les deux sont donc finalement peu ressemblants sur le concept, Gearbox n’a clairement pas assez accentué sa campagne de publicité sur ce point. Se faisant facilement dépasser par Blizzard, possédant une communauté et des fonds financiers bien plus grands. C’est là l’une des hypothèses de l’échec de Battleborn : le marketing était bien trop discret, et pas assez explicatif.
C’est d’autant plus important qu’on l’a dit, il s’agit d’un MOBA. Soit un genre qui, à cette époque, commençait à être saturé (un peu comme le marché du Battle Royale aujourd’hui). Les grands vainqueurs de cette lutte sont là depuis longtemps et il faut savoir se démarquer. Mais Gearbox n’a pas communiqué sur ce sujet, préférant mettre en avant ses personnages très singuliers.
La comparaison avec Overwatch n’a pas cessé avec le lancement de Battleborn, loin s’en faut. En effet, alors que le jeu de Gearbox arrive dans les bacs le premier… Blizzard sort la bêta d’Overwatch dans la foulée. Entre payer un jeu et essayer une bêta, évidemment, les joueurs ont aisément fait leur choix. Ce qui est curieux, c’est que le plan de Blizzard était connu depuis longtemps. Pourquoi Gearbox n’a-t-il pas avancé la date de sortie de Battleborn pour fidéliser ses clients plus rapidement ?
Rajoutons à cela que deux mois après le lancement du titre, les joueurs actifs sont passés de 12 000 à 1 000 sur PC. Et ça ne tient pas qu’à Overwatch. Les problèmes se sont accumulés et l’équipe n’a pas été assez efficace pour les résoudre. Temps d’attente trop long, menus peu ergonomiques, impossible de revenir dans un match, problèmes de connexions… Des handicaps importants pour un titre multijoueur de la sorte.
Deformers, aussi cher que gratuit
Certes né d’un développement plus confidentiel, Deformers est certainement le plus gros échec des cinq jeux cités ici. Rappelons très vite qu’il s’agit de la deuxième production de Ready At Dawn, ayant sorti The Order 1886. Un jeu d’action à la troisième personne qui a divisé la critique, mais aussi les joueurs. Malheureusement, Deformers n’est donc pas non plus un succès puisque le plus grand pic de joueurs connectés est de 90. Quotidiennement, c’est environ 14 utilisateurs qui lancent le jeu sur PC. Pas besoin d’être un spécialiste pour savoir que ces chiffres sont mauvais.
Cet échec est très simple à comprendre. Premièrement, avez-vous entendu parler de Deformers ? C’est l’un des gros problèmes du titre. Les développeurs n’ont fait aucune communication, ou presque. Lorsque l’éditeur (Gamestop, l’équivalent de Micromania aux USA) a voulu inverser la tendance, ce fut pire encore. Le jeu fut distribué gracieusement aux clients du magasin sans que l’on comprenne pourquoi. Au lieu de créer un bouche-à-oreille, cela a surtout saturé les serveurs, puisque les possesseurs des versions gratuites ont tous voulu essayer le jeu.
Les choses ne se sont pas arrangées après cette étrange sortie. L’éditeur n’a pas fait de publicité par la suite. Même la presse et les influenceurs n’ont pas reçu de copies. GameStop a-t-il pensé court-circuiter ce système classique pour atteindre directement les joueurs ? Quoi qu’il en soit, l’équipe s’étant rapidement découragée, Deformers n’était plus suivi. Les problèmes de serveur n’ont pas été réglés, le offline n’était pas présent dès le lancement, et aucun contenu n’a été implanté. La seconde semaine, la moitié des utilisateurs n’est jamais revenue sur le jeu.
Rajoutons à cela un modèle économique douteux puisqu’il fallait débourser 40 € pour un titre possédant des micropaiements, et un faible contenu (trois modes et cinq cartes). Même le passage au free-to-play n’a pas réussi à ramener des joueurs, malgré quelques aficionados qui ont tenté de se regrouper jusqu’à la fermeture des serveurs.
Agents of Mayhem, Saint’s Row ou pas ?
On a l’habitude de dire que les vacances d’été sont un moment calme dans l’industrie du jeu vidéo. Il s’agit d’une période où les grosses sorties vidéoludiques sont rares. Le seul AAA publié en août 2017 était Uncharted : The Lost Legacy. Pourtant,cela n’a pas profité à Agents of Mayhem. Sur ses trois premiers mois de lancement, 45 000 copies se sont vendues sur PC. La réaction a été très violente pour le studio Volition qui a dû licencier 30 développeurs.
Le gros problème d’Agents of Mayhem s’est déclenché dès son annonce. Les couleurs, l’humour et même le logo… le jeu est marketé comme un Saint’s Row, la licence GTA-like ultra-décomplexée de Volition. Les fans se mettent donc en tête qu’il s’agit d’un nouvel épisode, ou du moins un spin-off. Les développeurs tentent alors de corriger son erreur, notamment avec un trailer où on lit « that isnt Saint Row ». Mais contre toute attente, Volition se tire une balle dans l’autre pied en annonçant un personnage de Saint’s Row dans Agents of Mayhem. Cette incompréhension totale accompagne un ras-le-bol des derniers jeux Saints. Les joueurs jugent ceux-ci comme beaucoup trop éloignés des premiers. Alors, voir Agents of Mayhem comme un nouveau Saint’s Row, c’est non pour les fans.
Agents of Mayhem échoue ainsi à atteindre le public visé. Et encore une fois, la communication manque pour le dernier titre de Volition. Les nouvelles sont rares, sauf pour les fans suivants encore le jeu. En effet, les créateurs prennent le temps d’expliquer leur jeu, ses features et même le développement via des streams. C’est loin de toucher monsieur Tout-le-Monde.
Ces explications n’auraient pas été un luxe, car beaucoup de joueurs n’ont pas forcément compris le titre ou son intérêt. Il s’agit d’un jeu d’action en monde ouvert avec une petite subtilité. Le joueur peut choisir trois personnages et switcher ensuite à la volée entre sa sélection. Chaque avatar étant évidemment doté de diverses armes et capacités. Beaucoup de joueurs voyaient cette feature comme la partie solo d’un jeu en coopération. Cependant, Volition fit la sourde oreille (ou maintint son parti pris) et Agents of Mayhem resta uniquement solo.
Que ce soit les fans ou les joueurs plus occasionnels, Volition perd son public. Les tests du jeu finissent par achever ceux qui s’accrochaient encore. C’est très répétitif (certains niveaux sont à parcourir une bonne dizaine de fois), vide pour un monde ouvert et bourré de bugs. Dommage, car Agents of Mayhem est également très fun, drôle et bien fichu dans ses features.
Onrush, à l’attaque d’un marché risqué
« Lorsqu’un jeu payant sort en juin pour devenir gratuit seulement 5 mois après, c’est qu’il y a un souci », écrivait-on dans notre critique de Onrush. Un jeu de course arcade et déjanté, proposant des virées en 6 contre 6 où la ligne d’arrivée n’existe pas. À la place, les joueurs doivent remplir des objectifs pour gagner la partie. Un concept étrange que ses créateurs assument lors d’une interview pour GamesIndustry :
Nous avons voulu réinventer le genre, influencé par les vieux jeux arcades, et les titres modernes comme Rocket League ou Overwatch
Nombreux sont les joueurs à avoir cru qu’il s’agirait d’un successeur spirituel de Burnout ou de MotorStorm. Soit un jeu de course frénétique, mais avec une ligne d’arrivée. Beaucoup d’utilisateurs se sentirent trompés sur la marchandise à leur achat. Cependant, cela n’explique clairement pas tout. Onrush se classant 34e sur sa semaine de lancement, d’après Eurogamer. Il ne s’agit donc pas d’un problème d’identification, l’échec se fit déjà en amont de sa sortie. Pourtant, Onrush était seul sur sa case. Et si c’était ça le véritable souci ?
En effet, rares sont les jeux de course arcade à être sorti ces dernières années. Si Forza (Horizon et Motorsport) et Gran Turismo, Dirt ou F1 marchent encore, c’est parce qu’ils ont fidélisé leur public depuis longtemps. Des joueurs qui cherchent avant tout des sensations plus ou moins réalistes. À l’inverse, les jeux de courses arcade fin 2000 ont sombré. Blur, Midnight Club, Motorstorm 3, Burnout Paradise, Driveclub… autant de titres qui se sont peu vendus. Autant dire que Onrush est né dans un climat aussi risqué qu’ambitieux. Sans surprise, Codemasters, le développeur, a donc misé sur une visibilité accrue, comparé à ses autres titres. Notamment grâce à une bêta ouverte.
Malheureusement, les retours furent de mauvais augures. En traversant les divers forums sur le sujet, bon nombre de joueurs ont pesté contre un côté trop brouillon et simpliste. De plus, la présence de lootboxes pour un jeu à 70 €, et l’absence de véritables courses en ont refroidi plus d’un. Ces critiques majeures additionnées à un marché déjà faible ont eu raison d’Onrush.
Jean de La Fontaine du jeu vidéo
Ces 5 cas contiennent des similarités. Tous ont des composantes Moba, sont de nouvelles licences et ont un look particulier, presque (voir complètement) cartoon. Notons également qu’à part Agents of Mayhem, il s’agit de jeux multijoueurs. Par ailleurs, trois de ces derniers ont finalement tenté l’aventure en free-to-play, sans grand changement avec les résultats financiers précédents.
Il est désormais établi que lancer une nouvelle licence est toujours plus compliqué que de produire un autre épisode d’un succès. Ces cinq titres représentaient donc un risque monétaire certain pour leurs éditeurs respectifs. Ce qui explique que ces derniers sont moins enclins à dépenser des sommes folles pour faire la promotion de ces nouvelles IP. Sachant que les jeux vidéo sont de plus en plus nombreux à sortir, la publicité est très importante pour se démarquer, surtout pour des AAA. Et lorsque celui-ci atteint tout de même sa cible, on voit clairement à quel point un manque de support de la part des développeurs peut-être fatal.
Conséquences
Des ratés commerciaux, même pour de bons titres, il y en aura malheureusement toujours (voir plus souvent ?). Outre ces cinq cas, on aurait pu également citer Prey, Dishonored 2, TitanFall 2… Heureusement pour ses développeurs l’échec n’est pas forcément fatal. Faisons donc un point sur les studios ayant créé les 5 jeux précédents.
Turtle Rock Studios—Evolve
Sans surprise, les développeurs ont coupé les ponts avec leur éditeur pour se tourner vers Warner Bros Games. En revanche, le studio retournera à ce qu’il sait faire de mieux (Turtle Rock a travaillé sur Left 4 Dead) : la coopération. Nom de code Back 4 Blood sera un jeu de survie à quatre joueurs, saupoudré de zombies. Notons qu’un mode campagne et PvP seront de la partie. Un concept plus sage, mais peut-être trop classique. L’E3 2019 sera peut-être l’occasion d’en avoir un aperçu.
Gearbox — Battleborn
Pour les créateurs de Battleborn, l’avenir était de toute façon déjà tracé. Borderlands 3 se devait d’exister, puisqu’il s’agit de leur licence la plus célèbre. Ce quatrième épisode vient enfin d’être dévoilé et il devrait ravir les fans, à partir de septembre prochain.
Du côté de Battleborn, notons qu’il est toujours à l’état de free-to-play. Moyennement fréquenté, Gearbox a tout de même pris le temps d’un récent événement pour booster la fréquentation du titre. Certains joueurs se demandent même si les développeurs ne restent pas attachés à cette nouvelle licence, au point d’en faire un deuxième épisode, mieux fini. On imagine que Borderlands 3 et ses contenus téléchargeables cacheront des liens entre les deux titres…
Ready at Dawn— Deformers
Après deux cuisants échecs, Ready at Dawn a enfin brisé la malédiction. Pour ce faire, les développeurs se sont intéressés à la réalité virtuelle et en ont sorti une toute nouvelle licence, Lone Echo, en juillet 2017. Elle s’est transformée en Echo Arena, puis en Echo Combat. Pour finir, cette licence aura même le droit à un véritable second opus.
Volition Games —Agents of Mayhem
À l’instar de Gearbox, la seconde chance de Volition était toute trouvée. Le studio s’est rapidement tournée vers sa licence fétiche Saint’s Row. En marge du portage du quatrième épisode sur Nintendo Switch, les développeurs ont annoncé un cinquième opus que l’on pourrait aussi voir à l’E3 2019.
Il faut tout de même préciser que Volition a dû licencier 52 personnes et changer de directeur suite à l’échec d’Agents of Mayhem. Notons également que leur éditeur, Koch Media, s’est fait racheter par THQ Nordic.
Codemasters —Onrush
Des problèmes, Codemasters en a eu également après le plantage d’Onrush. Le directeur du titre, ainsi que quelques développeurs vétérans ont quitté le studio. De plus, celui-ci se contente désormais de soutenir les autres productions de Deep Silver pour le moment.
Le destin d’Onrush est lui plus heureux puisque Codemasters a bien suivi le jeu jusqu’au bout, avec plusieurs mises à jour. En devenant gratuit le temps d’un mois sur le PlayStation +, le titre a pu se refaire une réputation. Nombreux sont les joueurs ayant pu l’essayer pour lui donner sa chance. Onrush aurait peut-être gagné à être lancé gracieusement, comme ce fut le cas pour Rocket League. Cela a permis à ce dernier de se faire une solide réputation (et de se vendre terriblement bien par la suite), alors que le concept pouvait sembler trouble.
1