Si les compétitions de jeux vidéo ont commencé dès la naissance de celui-ci, les tournois internationaux débutent eux dans les années 2000. Alors que la notion d’Esport émerge, la crise de 2008 signe la première chute des investisseurs, et donc du sport électronique. Si la machine est désormais repartie de plus belle, il se pourrait que l’Esport coure pourtant à sa perte.
Des chiffres et du sport
Ce constat, c’est celui de la journaliste Cecilia D’Anastasio, travaillant à Kotaku. Elle vient en effet de publier une longue enquête sur les dessous du sport électronique, et de ses dérives inquiétantes. Si l’on exclut la fameuse question « Est-ce que cela est vraiment du sport ? », tout semble aller pour le mieux pour cette récente discipline. Preuve en est, au milieu des années 2000, un championnat d’Esport rapportait 1 000 $ au vainqueur. Aujourd’hui, cela se calcule en dizaine de millions de dollars. En avril dernier, CNBC affirmait même que League of Legends attirait plus de spectateurs que le Super Bowl.
Le problème, c’est que les chiffres utilisés sont potentiellement faux, d’après plusieurs des sources d’Anastasio. En première ligne, les différents organismes de comptage ont diverses affiliations. Certains sont les éditeurs des jeux, tandis que d’autres travaillent pour de grands groupes. Mais c’est surtout la faible fiabilité des chiffres qui inquiète. Actuellement, il est difficile de vraiment déterminer précisément le public regardant de l’Esport. Certaines sources affirment même que des compagnies gonflent leurs mesures, afin d’attirer les investisseurs. Les diverses évaluations tiennent donc plus de la spéculation, basée sur des chiffres douteux. Nielsen Media Research (comptant les spectateurs de télévision depuis son apparition) s’est lancé sur ce secteur en 2017. Aujourd’hui, malgré leur expérience, ils déclarent que les revenus de l’Esport restent « un gros point d’interrogation ».
Le magot invisible
Des chiffres existent pourtant bien. Des dizaines de millions de dollars d’investissements par ici, plusieurs centaines de milliers en guise de salaire par là. Cependant, encore une fois, ceux-ci sont à considérer avec caution. Les investisseurs lèvent des millions, en espérant lancer un nouveau marché florissant. Problème : si l’on parle gros sous, les recettes sont maigres. Car ce financement est en réalité une source indirecte d’argent. Malgré les 682 millions dépensés l’année dernière, les salaires des joueurs ont en plus explosé, passant sur une moyenne de 320 000 $ par an.
Si dans les années 2000, les compétitions étaient soutenues par la télévision, l’arrivée en 2011 de League of Legends a tout changé. Ce sont désormais les éditeurs qui s’occupent le plus souvent de l’Esport. Recrutant leurs équipes, organisant les matchs, jusqu’à la location de grands terrains de sport, pour accueillir du public en direct. Si cette dernière dépense semble superflue, elle permet de gagner tout autant d’argent grâce à la vente de tickets. Les éditeurs peuvent également compter sur le merchandising, sur les paris, et surtout sur les grosses compagnies. La société de streaming de jeux vidéo Twitch s’est offert pour 90 millions de dollars l’exclusivité de l’Overwatch League pendant deux ans. Quant aux publicités et sponsors, ils ne rapporteraient que 3 millions de dollars par an.
BubblePop
Ces revenus sont, selon plusieurs sources, bien loin d’éponger les dépenses. Jurre Pannekeet, analyste à NewZoo affirme d’ailleurs que « sur 14 équipes Esport, la majorité joue en étant déficitaire. Dès lors nait une crainte pour Franck Fields, manager des Sponsors chez Corsair :
Ça n’a aucun sens de mettre autant d’argent dans une industrie qui n’en produit pas tellement. Plus vite on avoue leurrer un public extérieur qui n’y connait rien, plus vite on pourra se développer sur le long terme. On sera capable d’éviter que la bulle éclate.
Une “bulle”. Nombreux acteurs d’Esport craignent ce mot. La véritable peur réside dans le fait que l’économie du sport électronique ne soit pas saine. Les investissements appelant d’autres investissements et une hausse des salaires des joueurs. Jusqu’à ce que les organisateurs ne peuvent plus payer.
Fin du game
Plusieurs organisateurs ont d’ailleurs déjà coulé ces dernières années. Anastasio évoque ainsi “Circa Esports, Allegiance, the Moviestar Esports Channel, et Millenium”. L’Esport est-il pour autant destiné à mourir ? Sans doute pas. Ou en tout cas, il ressuscitera. Comme dit précédemment, la banqueroute de 2008 n’a pas eu raison de cette industrie. Pas plus que l’éclatement de la bulle technologique de mars 2000 n’a détruit Internet. Certes, de nombreux sites ont disparu, mais le réseau entier s’est ensuite régularisé. L’une des sources de l’article d’Anastasio l’explique d’ailleurs en d’autres mots :
Admettons que la bulle éclate et que l’argent décline brutalement. Est-ce que les joueurs vont continuer à jouer ? Oh putain que oui. Est-ce qu’ils vont continuer à chercher la complétion ? Oh putain que oui. Est-ce que des gens vont regarder ? Oh putain que oui ! S’il y a une bulle, laissons-la éclater, et revenons à une économie plus saine pour reconstruire dessus.
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