La continuité éclatée selon Until Dawn


Chroniques, Rétro-éclairage / vendredi, octobre 19th, 2018

Sorti en août 2015, le jeu Until Dawn a déjà connu deux autres épisodes. Ou plutôt, là où la plupart des œuvres vidéoludiques optent pour des suites directes, les développeurs ont fait le choix d’un spin-off et d’un prequel. Trois opus qui témoignent donc d’une exposition distincte ou en tout cas, tordue. Revenons sur cette continuité narrative et ludique explosée. 

C’est l’effet papillon

Sans le savoir, Supermassive Games (le studio de développement) pose les bases d’une trilogie. Until Dawn est un jeu d’aventure horrifique qui prend place dans une montagne, et plus particulièrement dans un chalet forcément reculé de la civilisation. Une bande d’adolescents y vient pour « célébrer » la mort de deux de leurs amis (des sœurs) disparus un an plus tôt. Évidemment, les choses ne vont pas se passer comme prévu, car le joueur est plongé dans un slasher, à première vue banal. En effet, on retrouve les archétypes du genre cinématographique (la fille timide, l’adolescent qui n’a peur de rien…) confrontés à un problème classique (quelque chose rôde autour d’eux, des phénomènes étranges apparaissent). Cependant, Until Dawn arrive à s’extirper du genre, et à n’en faire qu’un point de départ.

La première chose qui change par rapport au slasher, c’est tout bête, mais c’est le joueur qui est aux commandes. On peut donc plus ou moins influer sur le comportement des héros/héroïnes. Qui n’a jamais enragé devant ce genre de film, lorsqu’un personnage réalise des actions incohérentes avec notre instinct ? Ici, les développeurs nous donnent la possibilité de réagir comme on le voudrait. Cependant, les choses ne sont pas pour autant plus simples, car les agissements du joueur ont des répercussions. Par exemple, se méfier ou non d’une personne mordue peut avoir des conséquences mortelles. Ces actions impactant l’expérience sont signalées par des papillons (en référence à l’écrivain Ray Bradburry). Si un personnage donne un pistolet à un tiers, cela peut engendrer un à deux autres choix possibles. Ici, l’horreur vient finalement du fait qu’à chaque pression de bouton, un ou des individus peuvent mourir, définitivement.

Scooby-gang

Cependant, les conséquences funestes peuvent être évitées, ou en tout cas prévenues si le joueur est attentif. En effet, étant influencé par le slasher, Until Dawn propose des séquences de calme, où il est possible de trouver des indices. Si ces derniers peuvent paraître abstraits au début du titre (une photo de famille, la profession du père des victimes), tout finit par s’emboîter vers les trois quarts de l’œuvre. De plus, ramasser des totems permet de provoquer des flashs : on y voit quelques secondes d’un futur possible. Ces derniers peuvent être liés à quelque chose à ne pas faire, ou au contraire à réaliser en urgence. Au joueur d’en saisir la véritable signification.

Spoiler alert !

Pour éviter la simple influence au slasher, Until Dawn compte également sur une pirouette scénaristique. Si l’on voit clairement les références aux boogey-men, peu à peu, le jeu nous fait concevoir notre erreur. L’histoire n’est finalement pas qu’autour d’un monstre. Les pistes sont brouillées, imbriquées, et l’on comprend que l’on a autant à faire à Friday the 13th et Jeeper Creeper qu’à I Know What you did Last Summer. Cette double inspiration permet de perdre le joueur qui pensait dénouer l’intrigue rapidement, devant cet énième slasher.

Rush of Blood

Un an après sort Until Dawn : Rush of Blood. Il s’agit d’une commande de Sony, pour promouvoir le PlayStation VR. L’anecdote ironique est qu’Until Dawn était, à ses touts débuts, prévu pour vanter les mérites des PlayStation Move (des contrôleurs à détection de mouvement, semblable aux Wiimotes). Mais cette fois-ci, le projet est conforme à la demande. Il s’agit d’un shooter sur rail : le joueur est virtuellement placé dans un train fantôme. De son véhicule parcourant la route automatiquement, il doit tirer sur les monstres qui l’attaquent, mais aussi sur les bonus du décor.

Ce qui fait le lien avec l’œuvre originelle, ce sont justement les différentes attractions. Chaque niveau est en effet placé sous une thématique. L’hôtel, les mines, le sanatorium sont autant de levels dans Rush of Blood, qu’ils sont de lieux incontournables d’Until Dawn. De même, le jeu en VR prend également des éléments moins évidents, comme les carcasses de porcs, ou les fantômes. Si ces derniers sont parfaits pour ce genre de manège effrayant, ils ont pourtant un rôle mineur dans le premier opus. Bien sûr, il n’y a pas de véritable scénario derrière ce jeu. Ce qui questionne la continuité d’Until Dawn. Qu’est-ce que Rush of Blood ? À défaut, on lui donne le nom de spin-off, mais il n’explique rien, ne s’appuie sur aucun personnage. Il échappe donc à cette définition. En piochant ici et là certains éléments, les développeurs viennent consolider ce qui est important dans la saga. Cette expérience est finalement extérieure au récit initial, tout en gravitant autour. Ainsi, derrière une simple commande de rail-shooter, Supermassive réalise en fait une anthologie dédiée à sa licence. Non pas dans le sens lyrique, mais plutôt comme « Recueil de ce qu’il y a de plus typique dans un ensemble » (3e définition sur CNRTL).

The Inpatient

Devenu un studio phare lié à Sony, sans lui appartenir pour autant, Supermassive Games enchaîne les créations pour le constructeur. Ainsi, trois jeux vont se succéder en à peine deux ans. Un développement trop frénétique et donc chaotique qui entraînera une qualité qui n’atteint pas l’ambition affichée. Ces trois titres se nomment Hidden Agenda (un film interactif à jouer à plusieurs, via smarthphone), Bravo Team (dont on parle ici) et The Inpatient. C’est ce dernier qui nous intéresse, puisqu’il s’agit d’un prequel d’Until Dawn. Si le jeu assure plus véritablement la continuité de l’histoire, la forme est en revanche totalement différente. Encore une fois, il s’agit d’une expérience VR, en vue subjective. On y incarne un patient fraîchement arrivé dans un hôpital psychiatrique, dont la mémoire est confuse. Dans un premier temps, il faudra s’acclimater à l’ambiance et aux protagonistes du lieu, tout en essayant de se souvenir de notre identité. Tandis que la seconde partie fait véritablement le lien avec Until Dawn. Certains personnages que l’on croisait dans le jeu originel (le directeur du sanatorium par exemple) sont présents.

De la même manière que Rush of Blood, Supermassive Games reprend ici le lore (la mythologie) d’Until Dawn. Cependant, si The Inpatient s’appuie sur l’hôpital, la mine ou les wendigos, certaines touches de gameplay reviennent aussi. On pense notamment au fait de ne pas devoir bouger la manette (le Dualshock 4 dispose d’un gyromètre), sous peine d’être détectée. La présence, à peine évoquée, du cannibalisme dans Until Dawn est bien plus importante, et fait même partie du gameplay.

Continue ?

On l’a vu, la continuité scénaristique est mise à mal dans cette saga. Tantôt dans le passé, tantôt dans la matrice du jeu, le joueur est perdu. C’est à l’image d’Until Dawn, qui propose des séquences qui se suivent, qui sont simultanées, des flashs-forwards (les fameux totems) et même dans la psychée des personnages. Cette temporalité bien distincte se retrouve également dans le gameplay. Bien que chaque épisode soit très différent sur la forme, on discerne là encore une continuité, une sorte de cahier des charges.

Le point clef de cette trilogie (non linéaire), c’est la présence de choix. Dans The Inpatient, le joueur influe (moins fortement, certes) sur l’histoire, à certains embranchements, qui peuvent s’avérer mortels également. Même Rush of Blood propose différents parcours, le passager peut aiguiller son kart sur tel ou tel chemin de fer. Une option qui changera totalement le décor, mais surtout, la difficulté des ennemis rencontrés. Par ailleurs, ce jeu cristallise un autre aspect de la saga : ses longs couloirs linéaires. Dans les trois épisodes, le joueur n’a pas vraiment la possibilité de déroger au chemin, qui est tout établi. Dans Rush of Blood, au retrouve cette particularité au maximum puisque le joueur est placé sur des rails.

L’immersion, évidemment assurée par les deux titres en réalité virtuelle, est aussi très présente dans Until Dawn. Les choix impliquent bien sûr le joueur, ce qui le rapproche de la situation vécue à l’écran. Si les protagonistes meurent, si la difficulté augmente, il ne peut que s’en prendre qu’à lui-même. Cette immersion est également renforcée à certains moments où un personnage parle directement au joueur. Dans Until Dawn, ce dernier est confronté à un psychologue, qui va d’ailleurs influencer l’histoire selon les dialogues donnés. Un principe qui va plus loin dans The Inpatient puisqu’il est possible de répondre de vive voix, via le micro du casque PlayStation VR. Dans Rush of Blood, le joueur est pris pour ce qu’il est : le membre d’un train fantôme.

Supermassive’s Tales

Ce qui est intéressant, c’est que ce principe de continuité semble très cher au studio. En effet, le prochain titre de Supermassive Games… en comporte plusieurs. Comme son nom l’indique The Dark Pictures Anthology : Man of Medan est une histoire horrifique prenant place dans une anthologie. En somme, c’est la rencontre entre American Horror Story et le gameplay (semble-t-il) d’Until Dawn. C’est évidemment la suite logique, en termes de forme, à la trilogie qui a fait connaitre le studio.
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