Alors qu’il travaillait dans le marketing depuis plusieurs années, Pierre-Alain Gagne cofonde en 2013 un studio qui a pour but de sensibiliser les mentalités sur des sujets sociaux. De l’écologie au handicap en passant par l’alimentation.
Utilité sociale
Le choix de ce média n’est nullement un hasard. En effet, Pierre-Alain Gagne avait besoin de changer de branche et il s’est tourné vers le jeu vidéo, avec lequel il possède une véritable affinité. Il ne débarque pas dans un univers inconnu, d’autant que certains de ses amis travaillaient déjà dans ce média. L’idée est donc venue naturellement de créer du jeu vidéo, mais tout en allant au-delà du simple divertissement. Si une expression revient souvent dans le discours de Pierre-Alain Gagne, c’est celle de « créer du sens ». Faire du jeu vidéo intelligent, qui peut être mis au service de tous.
Créer du sens, cela passe également par la forme de la société qu’il cofonde : Dowino. Celle-ci est bien loin des 99 % studio de jeu vidéo. Il s’agit d’une société coopérative et participative. Une forme qui permet d’établir plus équitablement les rôles et les salaires. Pour bien comprendre le fonctionnement de ce système d’organisation (qui possède tout un tas de possibilités économiques), ils demandent de l’aide à Motion-Twin (ayant sorti Dead Cells récemment), l’autre SCOP du jeu vidéo. Fondé en 2001, ce studio bordelais comporte une totale équité des salaires, et chacun a son mot à dire. Un modèle qui ne pouvait donc qu’aller de pair avec Dowino, spécialisé dans « l’utilité sociale ».
Depuis la création du studio en novembre 2013, les commandes affluent pour l’équipe de développeurs. La plupart du temps, ce sont divers organismes, privés ou publics, qui demandent un projet particulier. Du gâchis énergétique à la présence du sucre dans nos assiettes, Dowino développe des serious games, c’est à dire des jeux qui, sous leur aspect ludique, permettent d’apprendre et de comprendre différents thèmes. Cependant, le studio met un point d’honneur à créer ses serious games comme de véritables jeux. Le produit fini doit ainsi être aussi propre qu’un titre plus classique, non serious .
On a la volonté de ne pas rougir face aux jeux indépendants
Pierre-Alain Gagne ne cache pas son ennui vis-à-vis des serious game produits à la va-vite, sans amour pour le jeu vidéo. La composante ludique doit marcher pour que le message puisse passer.
Artistique et serieux
Une différence notable qui débouche naturellement sur des autoproductions. Libre de tous impératifs, c’est l’occasion pour le studio de créer de véritables œuvres plus personnelles, mais aussi d’expérimenter. Peut-être avez vous déjà entendu parler de A Blind Legend, un titre qui met le joueur dans la peau d’un aveugle. Ce dernier se déplace uniquement grâce aux indices du son binaural (en somme, le son est spatialisé, on peut donc « localiser » d’où il provient). À la fois sensibilisation et expérience parfaitement jouable par les non-voyants, A Blind Legend s’est imposé sur le marché :
Les attentes sont largement dépassées. Si on en aurait vendu 100 00 on aurait déjà signé !
Si Pierre-Alain Gagne déclare cela joyeusement, c’est parce que ce jeu a été distribué à un million d’exemplaires, et ce dans plus de 80 pays différents. Un chiffre royal pour un jeu indépendant, qui conforte l’ancien spécialiste du marketing dans l’idée que le serious game a de l’avenir. Car si A Blind Legend a si bien marché, c’est également parce que le public a évolué. Le portrait typique du joueur n’est plus aussi précis qu’auparavant. L’arrivée du smartphone permet plus de mixité dans les profils, allant désormais jusqu’aux seniors. Ce sont de nouvelles cibles potentielles pour les serious games, qui ont pour mission (non économique) de toucher un large public pour maximiser la sensibilisation.
Smokitten
À la fois serious game, véritable jeu et aide psychologique, Dowino a eu l’idée il y a deux ans de Smokitten. Lancée après un financement participatif complété à 102 %, l’équipe s’attèle à un jeu visant à accompagner les fumeurs désirant arrêter leur addiction. L’idée est simple et s’appuie sur une donnée clef : l’envie de « s’en griller une » survient seulement sur quelques minutes. Dès lors, lorsque celle-ci surgit, la personne n’a qu’à dégainer son application et faire un mini-jeu parmi ceux proposés par Smokitten. Le challenge d’arrêter de fumer se calque ainsi sur le challenge du jeu. L’utilisateur est encouragé au maximum par plusieurs mécaniques. Tout d’abord, il gagne des pièces virtuelles en permanence, mais surtout lorsqu’il passe du temps sur une des activités. Une manière d’inciter la personne à substituer la cigarette au jeu, d’autant plus que ces pièces permettent de décorer la petite île sur laquelle a lieu Smokitten. Cette dernière est un véritable miroir de l’état du fumeur. Si au début elle est désertique, il ne tient qu’au joueur de la rendre verdoyante en continuant à lutter.
Mais l’encouragement ne tient pas qu’au gameplay, si l’utilisateur craque, il peut envoyer un message de détresse à l’ensemble de la communauté Smokitten Park. Dès le départ, les développeurs ont voulu scinder l’expérience en deux applications : une pour les fumeurs, et une autre pour ceux qui n’ont pas commencé, et notamment les préadolescents. L’objectif est double avec cette deuxième appli : des conseils sensibilisent aux risques, mais elle permet également d’envoyer des messages aux fumeurs en détresse pour les motiver à tenir.
Tout est fait pour aider à arrêter son accoutumance (à condition de le vouloir, évidemment) et c’est plutôt normal puisque Dowino a pu s’appuyer sur de véritables spécialistes (le centre Hygée par exemple), qui ont guidé le game design. En témoigne le questionnaire précis que l’on doit remplir dès l’inscription à l’application. Toutes ces informations données (combien de cigarettes fumées par jour, quelle cigarette est la meilleure, etc.) permettent d’établir des conseils plus personnalisés, comme le nombre d’euros économisés.
Et l’avenir ?
Reste à voir maintenant les résultats concrets de Smokitten. Pour le savoir, il faudra attendre quelque 200 jours. En effet, un compte à rebours se met en route lorsque l’on télécharge l’application. Logiquement, si celui-ci tombe à zéro, c’est que le sevrage est réussi et un questionnaire final permettra d’estimer le nombre de personnes ayant atteint leur but. Une preuve concrète que Dowino ne manquera pas de partager.
En dehors de cette future tâche et du débogage, le studio est déjà sur le pont pour d’autres projets. Si l’on sait que des commandes sont en cours de traitement (sur l’asthme, entre autres), Pierre-Alain Gagne reste bien plus discret sur la future 3e autoproduction de Dowino…
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