Ce qu’il y a de bien avec la licence Batman Arkham de Rocksteady, c’est que chaque épisode est aussi excellent. On pourrait presque oublier Origins, car même s’il tente de mimer les précédents opus, il lui manque tout le génie du studio londonien. Pour comprendre l’impact de la licence, il n’y a qu’à revoir quelques bandes-annonces de l’E3 2018. L’ombre de Batman plane sur bien des jeux.
Une nuit, douche comprise
La licence de Rocksteady contient bien des spécificités qui ont été très vite reprises, preuve d’un génie du game design. La première est presque scénaristique. On pourrait la résumer ainsi : quel que soit l’opus, Batman doit régler un problème en une nuit. Pour le joueur, cela équivaut à plusieurs heures de jeu, mais pour le justicier, chaque épisode est l’occasion de trainer sa longue cape noire durant toute une nuit blanche. Ce que Rocksteady veut mettre ici en lumière, c’est la capacité du Batman à mettre fin coûte que coûte au crime, ce qui implique une grande force physique et morale. La nuit sera longue, douloureuse, mais l’homme chauve-souris n’abandonnera pas.
Dès la sortie de Batman Arkham Asylum, ce gimmick intéressera les développeurs « rivaux », sans pour autant le citer explicitement. Ainsi, si on ne retrouve pas la volonté d’étaler l’histoire sur une nuit ou quelques heures, l’effet reste le même. On pense notamment à Spec Ops The Line et Tomb Raider. Dans ces deux jeux, le personnage principal est clairement malmené, aussi physiquement que moralement. Dans Spec Ops, le soldat que l’on incarne tient coûte que coûte à suivre sa mission, même si cela créera des conflits au sein de son unité, et surtout de lui-même. Pour le reboot de Tomb Raider, c’est assez différent. On retrouve la volonté de survivre à tout prix pour atteindre l’artefact avant la milice du coin. Au passage, c’est uniquement en côtoyant le danger que l’héroïne se forge.
Dans tous les cas, ce gimmick permet de créer des personnages réalistes, avec de véritables conséquences visibles à travers leurs actes. On s’attache également à ce héros/cette héroïne avec qui on a vécu les coups durs ensemble. Ce boss qui a failli avoir notre peau ? Il laissera une vive tension dans l’esprit du joueur, peut-être même des douleurs aux doigts. À l’écran en revanche, le personnage gardera les traces de ses blessures, comme un témoin réaliste de l’éreintante aventure qu’il a mené, mais aussi de la vaillance de ces héros/héroïnes.
Dans l’ombre
L’arrivée de Batman Arkham Asylum est également saluée par une feature d’un nouveau genre. De nombreuses fois au cours de l’aventure, notre super-héros doit éliminer toute une pièce remplie de gardes armés. Impossible de foncer dans le tas, car les ennemis ne feraient qu’une bouchée de vous. Ces séquences, Rocksteady les a nommées Mode Prédateur. En somme, le joueur doit évincer une à une les cibles, tout en planifiant ses attaques du haut des gargouilles et autres corniches. Ces moments permettent de diversifier le jeu, mais surtout, de comprendre comment Batman peut éliminer un tas de gardes armés sans égratignures. De ce fait, c’est un véritable sentiment de puissance qui conquit le joueur. Les développeurs ont même été jusqu’à implanter le rythme cardiaque des ennemis, qui ne cessera pas d’augmenter à mesure que vous éliminez leurs camarades d’arme. Bien qu’il faut être discret, il ne s’agit pas pour autant d’infiltration au sens propre. Il s’agit d’une évolution maline du genre, adapté pour le plus grand nombre, sans pour autant perdre en complexité. En effet, les situations se diversifient tout au long de l’aventure, et l’arsenal de la chauve-souris également.
Il n’a pas fallu très longtemps avant que ces scènes ne tapent dans l’œil d’autres développeurs. En grand récupérateur d’éléments populaires de gameplay, Ubisoft a très vite adapté ce genre de séquences à ses jeux. Évidemment, on pense à Assassin’s Creed 2. Quand on est un blockbuster comportant des scènes d’infiltration, il serait bête de passer à côté de cette occasion. On retrouve donc des moments où il faut éliminer une cohorte d’ennemis discrètement, tout en profitant d’éléments architecturaux en surplomb. Quelque part, même Watch Dogs s’inspira de ce mode prédateur, avec toutes les possibilités d’éliminations environnementales. Cependant, c’est dans Spider-Man : Shattered Dimensions que l’on note l’influence la plus flagrante. Passons sur le fait qu’il s’agisse d’un autre super-héros, car ce qui importe c’est le level design construit de la même manière. Différents éléments (barrières, poutres, caisses…) posés ici et là pour que le joueur s’amuse à éliminer ces adversaires, à composer avec le décor pour attraper ses ennemis dans la toile (au sens propre). L’homme-araignée garda cette mécanique, et ce jusqu’à aujourd’hui, comme on peut le voir dans le prochain Spider-Man d’Insomniac Games. D’ailleurs, à l’E3 2018, on pourrait presque apercevoir en Ghost of Tsushima une part de ce mode prédateur. En effet, le personnage, caché dans une mezzanine, saute d’un étage pour éliminer un garde, et profite d’un ralenti pour tuer les deux restants. Chose que l’on retrouve également dans Batman Arkham Knight, grâce à la nouvelle combinaison du justicier.
Je suis un détective !
L’autre spécificité de la licence se nomme « mode détective ». En effet, le Batman est considéré comme le meilleur détective du monde. Un être brillant de logique, même s’il s’appuie parfois sur une puissante technologie pour résoudre ses problèmes (de plus en plus gros, certes). Les développeurs se devaient donc de retranscrire cela à l’écran. Ainsi entre de l’exploration, de l’infiltration et du combat, le joueur tombe également sur des scènes d’investigation. Si ces séquences sont devenues plus complexes au fil de la saga (demandant plus de manipulations ou de réellement raisonner), Batman Arkham Asylum proposait déjà une vision spéciale conçue pour la réflexion. Mais cette technologie placée dans le masque du justicier sert régulièrement, lors des fameuses séquences discrètes. Le joueur peut voir qui possède des armes/gadgets et quels sont les outils environnementaux utiles (comme un extincteur par exemple). Cet élément est l’un des piliers principaux de la saga, il est même mis à profit lors des combats, toujours pour savoir qui est la cible n° 1, ou voir plus loin qu’à l’œil nu.
Cette vision détective, on la retrouve presque à l’identique dans le polar cyberpunk Observer. On y incarne d’ailleurs un « détective » du futur, possédant des implants cybernétiques dans les yeux, comme un Batman cristallisé en somme. Ce vieux flic désabusé peut ainsi se servir de ses lentilles pour détecter des traces électroniques ou biologiques. On passe donc les scènes d’investigations d’un filtre à l’autre pour trouver les indices. La seule différence avec les Batman Arkham, vient du fait que c’est Bruce Wayne qui choisit lui-même quel filtre correspond le mieux. Sans doute, car la licence n’est pas un jeu focalisé sur l’enquête, à l’inverse d’Observer. De même, la vision « spéciale » est devenue un incontournable. Le reboot Tomb Raider, le dernier Horizon Dawn Zero, et même L’Ombre du Mordor proposent de détecter les indices utiles via à des « sens spéciaux », dont l’origine est d’ailleurs souvent floue. Du moins du point scénaristique car au niveau gameplay, les trois titres précédemment cités sont de véritables pots-pourris d’idées populaires. Ce n’est pas forcément négatif, comme le montre Tomb Raider, soit un jeu qui reste tout de même unique par ce qu’il raconte. Quoi qu’il en soit, cette étrange clairvoyance qu’ont ces héros permet toujours d’analyser la situation, et donc de rendre les combats et/ou l’infiltration plus tactique(s). Cela met également le personnage en valeur, car il a, pour quelque raison que ce soit, une perception plus poussée que les autres. Il est parfois surentraîné (Hitman) ou possède juste les moyens techniques ou financiers (Deus Ex).
Il serait cependant presque malhonnête d’affirmer que Rocksteady a inventé cette mécanique. Rendons à César ce qui est à César, le mode détective ressemble fort à ce que proposait le premier Assassin’s Creed, soit la vision d’assassin justement, qui détecte les bons des méchants. Batman Arkham a surtout été plus loin, rendant la mécanique utile et jouable tout le temps. Elle devient, comme on l’a dit, plus complexe, plus intéressante au fil de la saga.
Karate kid
Il ne vous aura peut-être pas échappé que chaque spécificité de gameplay créée par Rocksteady souligne en fait un trait moral ou physique de Batman. Volonté, discrétion, intelligence sont retranscrites à travers les mécanismes décrits précédemment. Mais il reste un dernier attribut du justicier traduit par les développeurs. Si les séquences de combat sont généralement faciles à mettre en scène, Rocksteady a réussi à placer la barre plus haute et à créer un standard. Comme toutes les mécaniques de la licence, le système de pugilat s’appelle « free flow ». Comme son nom veut l’indiquer, tout est affaire de fluidité dans celui-ci. Si les développeurs reprennent des codes classiques comme les combos, ils vont plus loin en les rendant véritablement utiles, car ils permettent de déclencher des attaques spéciales. Ainsi, plus Batman frappe sans être touché, plus son compteur de combo augmente, et plus ses compétences seront puissantes. En huit coups, il peut effectuer une élimination directe (« takedown »), mais en attendant un peu, c’est plusieurs hommes qui pourront être mis au tapis. Les gadgets servent également pour ne pas perdre le fil du combo. S’ils sont utilisés au cours de l’aventure pour débloquer la situation, ils peuvent aussi avoir leur avantage pendant le combat. Le gel explosif dégage des voies pendant l’exploration et étourdit les ennemis pendant une rixe. Les développeurs ont ainsi prévu une multitude de raccourcis (à la manette ou au clavier), permettant de lancer rapidement des attaques diverses. Le joueur se retrouve donc avec un système de combat fluide, qui favorise les réflexes grâce aux contres, et l’analyse. Il en résulte une sorte de jeu de rythme (on dirait presque une chorégraphie tant les animations sont réussies et diverses) où le joueur doit toujours avoir un coup d’avance. Savoir qui est la cible la plus dangereuse, comment l’éliminer le plus rapidement tout en devinant quel est le prochain ennemi qui frappera. Ce système on ne peut plus complet est donc loin de l’ancien standard qui comportait des listes entières de coups et un bouton d’esquive de temps en temps. On peut cependant détecter quelques prémisses dans les combats de The Path of Neo, qui favorisent également le rythme et celui de Spiderman 2 (décidément proche de la chauve-souris !), car les attaques ennemies à venir étaient indiquées et les contrer permettait de lancer de puissants coups.
L’arrivée des Batman Arkham, et notamment Asylum va mettre un coup de pied dans la fourmilière. En premier lieu, Assassin’s Creed va revoir sa copie, qui se concentrait jusque là uniquement sur le contre et donc l’attente. Mais très vite la liste s’allonge : Sleeping Dogs, Remember Me, L’Ombre du Mordor, et encore et toujours Spiderman. Le prochain épisode comportera même un système de gadgets, influencé par Arkham (les développeurs affirment avoir pris la licence comme modèle), mais également par le récent film Homecoming. Aujourd’hui, le free flow a donc fait bien des émules, et c’est d’ailleurs, parmi les mécaniques héritées de la saga, celle que l’on retrouve le plus souvent. Ceci s’explique sans doute par le fait qu’elle est facile à prendre en main, mais complexe à maîtriser parfaitement. Elle permet également une constante mise en scène, et donc un plaisir à jouer, car moins les ennemis blessent Batman, plus la chorégraphie continue, plaçant ainsi le joueur dans le rôle du metteur en scène.
Batman vs Superman
Si Rocksteady s’est imposé dès le premier opus de sa licence phare, impossible de ne pas voir l’évolution constante des inventions des développeurs. Les combats et scènes d’infiltration se sont diversifiés (bien plus d’ennemis et de gadgets différents), le Detective mode est devenue plus ludique, et le tout est emballé dans une narration toujours plus folle et surtout, plus courageuse. En trois épisodes, Rocksteady est donc entré dans le panthéon des développeurs de jeux vidéo, et c’est sans doute pour avoir autant modifié le paysage vidéo ludique que l’on attend le studio et son adaptation de Superman. Retranscrire toute la puissance de ce super-héros, ses failles morales et physiques et surtout sa (presque) invincibilité reste un pari très compliqué qui n’a jamais été relevé avec succès, manette en main. On a donc hâte de voir si Rocksteady réussira là où les autres ont échoué.
[Mise à jour du 03/12/2018]
Rocksteady a infirmé travailler sur Superman. En revanche, on sait qu’il s’agira bien d’un groupe de super-héro. Il est donc intéressant de noter que le studio reste dans son thème favori : la luttre contre la criminalité. Même leur premier jeu, Urban Chaos, abordait ce sujet, autant d’un point de vue scénaristique que du gameplay.
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