Black, le premier FPS moderne


Chroniques, Rétro-éclairage / jeudi, août 2nd, 2018

Si le FPS solo est un genre dominant durant la 7e génération de consoles, celle d’avant a tout de même aidé cette montée en puissance. Halo est par exemple bien connu pour avoir redistribué les cartes du multijoueur, qui éclipsera petit à petit le mode solo. Mais vu de 2018, un autre titre a clairement servi de modèle pendant la génération Xbox 360/PS3/Wii…

Noir Désir

Fondé en 1996, le studio Criterion Games n’obtient ses lettres de noblesse qu’en 2001, avec la création de la licence Burnout. Des jeux de course où il faut aller vite, très vite même, tout en évitant le trafic. Évidemment, il est fortement conseillé d’envoyer ses rivaux dans les voitures civiles, voire dans les murs. Une licence plutôt brutale et spectaculaire donc. Justement, après avoir développé cinq épisodes à la chaîne, les développeurs veulent créer autre chose avec ce même ADN. Ce résultat s’appelle Black, un FPS où la destruction est le mot-clef. Ce qui était déjà le cas avec Burnout.

Passons rapidement sur le pitch du jeu, qui nous fait incarner un soldat d’élite impliqué dans une opération clandestine (Black Ops en anglais, d’où le titre sur lequel on reviendra plus tard). On prend part à sa dernière mission à travers des flash-backs. Ce qui est l’occasion de massacrer des soldats soviétiques par pelletées, tout en détruisant les décors. Un concept plutôt simple, voire classique, en résumé. Enfin c’est ce que l’on pensait à sa sortie, en 2006…

Pré-déjà-vu

En revanche, parcourir Black en 2018 donne lieu à une étrange sensation pour peu que l’on ait côtoyé les gros FPS de la 7e génération de consoles. C’est bien simple, on a l’impression d’avoir déjà fait le jeu. En premier lieu, notons la star du titre : la destruction d’environnement. On la retrouve deux ans plus tard dans une licence qui n’en avait jusque là pas besoin : Battlefield. Pourtant, depuis l’épisode Bad Company, pas un seul opus ne s’est séparé du moteur Frostbyte, conçu pour… la démolition. Certes, beaucoup de jeux ont depuis opté pour la destruction d’environnement (mais pas tous cependant), sans doute grâce à l’avancée de la technologie. Une autre coïncidence heureuse vient de la narration. L’histoire ne se déroule pas de manière chronologique, mais on l’a dit plus haut, via des flashbacks. Plus précisément, notre personnage est en plein interrogatoire, à propos de sa dernière mission. Chaque question est propice à un retour dans le passé. Ce mode de narration, déjà rare dans le jeu vidéo, l’est encore plus dans les FPS. Cependant, on le retrouve dans deux titres plus « récents » : Call of Duty Black Ops et Battlefield 3. Si le deuxième jeu s’inspire clairement Black dans la forme (cutscene, caméra à la main, image sale, vifs effets de lumière), c’est Black Ops qui cite plus volontiers son maître. Cette fois-ci l’interrogatoire se fait en vue à la première personne, ce qui nous permet de petit à petit se demander où veulent en venir les mystérieux enquêteurs. D’ailleurs, le sous-titre du jeu fait clairement référence à Black, un peu comme pour rendre à César ce qui est à César, puisque ce Call of Duty porte sur les opérations clandestines.

Inspiration/citation/référence/plagiat

Mais après tout, il pourrait s’agir de pures coïncidences. De choix esthétiques et narratifs qui n’ont rien à voir avec Black. C’est possible, mais ça semble beaucoup moins plausible quand on retrouve des pans entiers de niveau, d’un jeu à l’autre. En parcourant Black, trois missions nous sautent aux yeux, comme un immense déjà-vu. Trois niveaux repris dans le deuxième Modern Warfare. Commençons tout d’abord gentiment avec la scène du goulag. La Task Force doit s’infiltrer dans une prison russe pour y sortir un VIP. Problème, il faudra passer par des douches mortelles, puisque les ennemis nous surplombent depuis un balcon. Si Black contient également cette même scène, on ne va pas se mentir, il s’agit clairement d’une référence au film The Rock de Michael Bay. Un réalisateur qui a sans aucun doute grandement inspiré Criterion et Infinity Ward, grâce à son style patriotique et porté sur les explosions.

Ce qui nous intéresse ici, c’est plutôt le niveau Supsension du mode Special Ops, toujours dans Modern Warfare 2. Dans cette courte mission, il est question de progresser sur un pont (le Hart Bridge, plus précisément) occupé par l’ennemi. Ces derniers se cachent derrière des voitures, investissent des bus et n’hésitent pas à utiliser des lance-roquettes. Le tout sur une musique qui montre à quel point la situation est désespérée. Tout ceci, on le retrouve dans Black. Le seul point qui diffère est qu’il s’agit ici d’un niveau entier. La ressemblance est troublante, mais c’est encore plus flagrant avec le niveau All Ghillied Up de Modern Warfare 1 et surtout la Special Ops Hidden de sa suite. Le joueur est accompagné d’un instructeur qui guide le joueur pour s’infiltrer le mieux possible et devenir un as du sniper. Dans Nazran Town de Black, c’est la première fois que le joueur est suivi d’un personnage secondaire important, et celui-ci nous donnera l’occasion de se servir d’un sniper. Sachez également que dans les deux cas on parcourra un village abandonné, et notamment un vieux cimetière et un clocher d’église. En somme, on retrouve la même ambiance et surtout une grande place laissée au fusil de sniper.

L’art du level design

La volonté de cet article n’est pas de crier au plagiat, mais plutôt d’essayer de comprendre pourquoi l’utilisation de ces inspirations flagrantes. Des reprises d’un jeu à un autre, il y en a toujours eu, et c’est généralement ce qui marche qui est utilisé ailleurs. En premier lieu, que ce soit la destruction ou les flashbacks, ces deux concepts sont créés pour un même objectif : celui de l’immersion. Démolir des constructions grâce à la puissance des armes est à la fois un plaisir et une possibilité de s’immerger un peu plus dans le jeu, de croire en ce que l’on joue. Un jeu de tir sans traces ou effets de balles attire l’œil rationaliste. Il se doit d’y avoir des impacts pour le réalisme et donc l’immersion. Ici, aller jusqu’à exploser des murs au lance-grenade permet d’en rajouter une couche. De même, les flash-backs construisent une immersion dans le sujet, de s’intéresser à pourquoi ce soldat que l’on incarne est ici ? Est-ce que l’on a fait une erreur à un moment ? Les développeurs de Black Ops a compris cet enjeu emphatique et l’a poussé à fond, pour jouer avec la schizophrénie.

Quand aux niveaux repris, les deux premiers sont clairement une ode, on l’a dit, au patriotisme et au spectaculaire. Un soldat américain qui franchit à lui seul tout un pont russe sur une musique pompeuse, c’est on ne peut plus symbolique (même si Black est moins teinté de celui-ci, car la notion d’opérations clandestine n’est pas représentative d’un état parfait). Quand au niveau « spécial fusil de sniper » il permet de contraster l’aventure épique avec un moment de calme et une ambiance tout de même oppressante. Le décor n’est pas choisi au hasard, « une balle, un mort », c’est plutôt ironique dans une ville abandonnée, morte.

 

Si Black a clairement marqué ce qu’on appelle le FPS moderne (des niveaux couloirs, plus immersifs…) il lui manque un détail particulier qui était déjà souligné par la critique de l’époque : un multijoueur. Le jeu de Criterion est effectivement un jeu uniquement solo, et ça pour le coup, c’est un trait incompatible avec les nouveaux First Person Shooters.
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